18 Juin 2021

Jean-François Martin, père de Karl

L’annonce de la trisomie de votre fils Karl été un grand choc, pouvez-vous nous la raconter ? 

Je suis le père de Karl, Rebecca, Gabriela et Maela. Karl a 32 ans et quand ma conjointe était enceinte de lui, ça n’existait pas les tests de dépistages ! Nous étions jeunes sa mère et moi et ne faisions absolument pas parti des personnes dites « à risque », nous n’avions aucune crainte que notre enfant soit différent. 

On a appris sa trisomie le jour de sa naissance. Le gynécologue obstétricien est venu me voir dans le couloir et m’a annoncé : « It’s a boy, mother is OK. We think your son has a down syndrome. » Il m’a tapé sur la cuisse, et puis il est parti. Le tout a déballé très vite dans ma tête et en plus, je ne connaissais pas la signification du terme down syndrome. Je me suis précipité après lui dans le couloir pour lui demander s’il y avait un lien avec une déficience intellectuelle, il m’a répondu que oui, et il est reparti ! C’est à ce moment où je me suis senti me vider de l’intérieur, comme si tout ce que j’étais avant disparaissait. Finalement, je suis allé voir ma conjointe… et c’est moi qui lui ai annoncé la nouvelle ! Nous voilà dans la chambre d’hôpital comme deux coquilles vides…  

De retour chez moi, je me suis posé LA question que tout le monde se pose : « Pourquoi ça m’arrive à moi ? Qu’est-ce qu’on a fait de mal ? » On essaie de remplir les trous, de comprendre ce qui nous arrive, mais il existait très peu d’informations à l’époque et Google ​n’existait pas ! En quittant l’hôpital, une infirmière nous a dit : « Ce n’est pas si pire que ça, j’en ai déjà vu d’autres auparavant ! » et elle nous a laissé un papier avec une adresse : l’Association de Montréal pour la déficience intellectuelle ​(AMDI). Comme c’était à cinq coins de rue de chez nous, j’y suis allé le lendemain et la première chose que m’a dite la dame qui m’a accueilli a été « Félicitations ! ». Depuis des jours, on ne nous parlait que de la Trisomie 21, et moi je ne voyais que ça. J’avais oublié que c’était un petit garçon qui allait quand même bien et dont j’étais l’heureux papa. En rentrant dans la bibliothèque de l’association, j’ai vu une mère d’un enfant qui avait une trisomie et qui m’en parlait comme une maman parle d’un enfant de trois ans. Je me suis dit : « Tu vas t’en sortir ! » Cette visite nous a ramené un peu de bonheur. 

Comment parleriez-vous de l’intelligence de Karl ? 

On les enferme dans une boite, autour du quotient intellectuel. On demande aussi : « il a combien d’années d’âge mental? » On s’en fout de ça ! On ferait mieux de demander : « Qu’est-ce qui l’intéresse ? » Karl a un sens de l’humour incroyable, une répartie fantastique, une intelligence très émotive, capable de saisir quand tu ne vas pas bien. Il te voit un jour avec un pansement au bras et trois mois plus tard, il va s’en rappeler et te demander des nouvelles de ton bras. Il apporte une simplicité de bonheur, une vision de la vie qu’on devrait tours aller chercher, mais on n’y pense pas, parce qu’on considère qu’ils sont imbéciles. 

Qu’est-ce que Karl vous a appris ? 

Il m’a appris à être un peu plus patient, et moins exigeant sur certaines choses. Il m’a montré que la vie n’est pas de juste performer. D’un autre côté​, il m’a aussi poussé plus loin au niveau professionnel, puisque c’est lui qui m’a amené à devenir professeur en éducation spécialisé​e. Je me suis ouvert à d’autres perspectives professionnelles, et développé mon exigence sur la place qu’on laisse à la différence et le respect des autres. 

Quel message souhaitez-vous adresser au père qui apprendrait que son enfant a une déficience intellectuelle ? 

Pleurez, et après ouvrez les yeux et voyez tout ce que cet enfant peut apporter, à vous et aux autres. Même si son potentiel est aussi petit qu’une bulle, il est là pareil, et il a besoin de s’exprimer!