
Plateaux de travail pour personnes handicapées : Québec freine la dérive
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12 juin 2025
Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, s’engage à freiner la dérive du modèle des « plateaux de travail » pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme.
12 juin 2025
Par Caroline Touzin, La Presse

Dans une récente enquête de La Presse, de nombreuses voix, dont la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, dénonçaient ce qu’elles considèrent comme de l’exploitation ; certaines parlent même « d’esclavage »1.
Les personnes handicapées qui sont employées sur les plateaux de travail ne sont pas payées ou reçoivent une rémunération inférieure au salaire minimum. Alors qu’elles sont censées y participer de façon temporaire pour acquérir des aptitudes de travail et éventuellement intégrer le marché de l’emploi ordinaire, elles sont majoritairement devenues des employés permanents, déplorait d’ailleurs la Commission.
Parfois, on les oublie là, et ces personnes cessent leur intégration vers l’emploi […].
Le ministre Lionel Carmant, en entrevue avec La Presse
« C’est sûr que si on vient mettre des gens qui sont prêts au travail de façon éternelle sur un plateau, ce n’est pas la bonne solution », concède le ministre Carmant en entrevue avec La Presse.
Pour corriger le tir, le ministre Carmant enverra ces jours-ci une directive visant à limiter à 24 mois le séjour des personnes prêtes à l’emploi sur un plateau de travail, et à un an la durée des stages non rémunérés, qui mènent ensuite au marché du travail régulier.
Ce sera à Santé Québec de s’assurer que cette directive est appliquée uniformément dans le réseau, précise-t-il.
Des histoires « inacceptables »
La Presse donnait l’exemple de Jérôme, qui fait le ménage dans une cafétéria de cégep depuis 13 ans et n’est payé que 5 $ par jour.
Ou encore celui de Nicolas, dont l’employeur a refusé de l’embaucher après environ un an de stage dans une chaîne de restauration rapide, même s’il « performait bien », selon son père. La gérante préférait continuer à bénéficier d’une main-d’œuvre gratuite fournie par l’école secondaire fréquentée par le jeune homme.
« Il faut dénoncer ce genre d’histoires, lance le ministre Carmant. C’est inacceptable de la part des employeurs. »
Mis au fait de ces dérives il y a un an lors d’une étude de crédit, le ministre a eu comme « premier réflexe » de vouloir abolir carrément ces plateaux.
Mais on lui a fait valoir que des gens qui vivent avec une déficience modérée à sévère, et qui seront toujours inaptes au marché ordinaire de l’emploi, doivent pouvoir continuer à les fréquenter.
Vrai qu’ils ne sont pas rémunérés, mais ils ont droit à un revenu de base garanti s’ils sont inaptes au travail, fait valoir le ministre. Ce ne sont pas eux qui sont visés par la nouvelle directive.
Pourquoi le ministre a-t-il mis un an à agir ? « Si on avait tiré la plug d’un coup sec, ça aurait été catastrophique, explique-t-il. Il fallait qu’on s’arrime avec le ministère de l’Emploi pour s’assurer que la transition se fasse comme il faut. »
L’objectif est que les jeunes qui sortent des écoles spécialisées à 21 ans aient tous un plan d’intervention, qu’ils soient aptes ou non à l’emploi, dit le ministre.
Ceux qui en ont la capacité pourront alors intégrer un plateau de travail pour 24 mois au maximum, puis obtenir un stage d’employabilité d’un an et finalement accéder au marché de l’emploi ordinaire. Avec cette trajectoire mieux définie, finis les stages éternels, espère le ministre.
Le fameux 5 $ par jour comme ce que touche Jérôme depuis 13 ans, et que plusieurs dénonçaient dans notre enquête, était « historiquement le montant accordé pour le transport », selon le ministre, mais « un moratoire a été instauré en 2014 ». D’autres programmes existent pour les usagers et c’est vers ceux-ci qu’il faut diriger les familles, souligne-t-il.
Fin du 5 $ par jour
La nouvelle directive élimine d’ailleurs cette modique somme tant décriée. Les personnes inaptes ont accès, depuis 2023, à un revenu de base garanti, souligne le ministre. Sauf que « les familles [de ces jeunes] ne le savent pas toujours », dit-il.
Par ailleurs, le transport adapté est censé être fourni pour se rendre sur les plateaux de travail, mais dans certaines régions comme la Gaspésie, « on sait que c’est difficile », ajoute le ministre.
Rappelons que les quatre principaux organismes représentant les personnes handicapées au Québec ont choisi de ne pas participer à la plus récente Semaine québécoise des personnes handicapées pour protester contre « les reculs répétés du gouvernement en matière de services publics, d’inclusion et de respect des personnes handicapées ».
Son gouvernement a été le premier à injecter de l’argent spécifiquement pour le répit des parents d’enfants handicapés de tous les âges – 50 millions sur cinq ans annoncés en 2023, répond le ministre. « Comme dans tous les dossiers de services sociaux, on part de loin, dit-il, blâmant le gouvernement libéral précédent d’avoir négligé ce secteur.