(Lettre ouverte) Le droit au logement a été marchandisé
27 Septembre 2024
La crise du logement au Québec affecte particulièrement les personnes ayant une déficience intellectuelle, qui peinent à trouver des milieux de vie adaptés à leurs besoins et aspirations. La Convention relative aux droits des personnes handicapées stipule pourtant que ces individus doivent pouvoir vivre dans des environnements sains, sécuritaires et stimulants.
Cependant, le droit au logement de ces personnes a été largement marchandisé. La plupart des ressources disponibles sont privées et visent à générer du profit, bien loin d’une mission d’accompagnement et d’inclusion sociale. Bien que certaines familles d’accueil offrent des milieux de vie plus conviviaux, la qualité de l’accueil reste inégale.
Les défis actuels sont multiples : les places sont limitées, les listes d’attente sont interminables, les signalements pour maltraitance sont de plus en plus nombreux, et bien souvent, les personnes ne s’y sentent pas « chez elles ».
Par ailleurs, même si certaines des ressources privées offrent des milieux de vie sains et de qualité, le nombre moyen de « locataires » par ressource a augmenté de façon significative dans les dernières années, laissant craindre un retour vers la ségrégation et la résurgence des institutions.
Ainsi, malgré la part considérable du budget en déficience intellectuelle et autisme investi dans le logement (805 millions de dollars, ou 51 % du budget total en 2022-2023), il est clair que le modèle actuel est arrivé à ses limites.
L’innovation face à l’échec du modèle actuel
En réponse à ces problèmes, la communauté de la déficience intellectuelle a créé des modèles d’habitation innovants. Conçus par et pour la communauté, dont bien des parents vieillissants inquiets pour le futur de leurs enfants devenus adultes, ces modèles visent à offrir un cadre de vie adapté aux besoins des personnes ayant une déficience intellectuelle. Contrairement aux ressources résidentielles privées, ces initiatives à but non lucratif ne sont pas toujours intégrées aux services sociaux, même si les personnes qui y résident reçoivent des soins et services.
Parce que les organisations qui les gèrent ne recherchent pas le profit, le coût par « locataire » peut être jusqu’à trois fois moins élevé qu’en ressource privée.
Cependant, malgré leurs avantages, les organisations et familles développant ces modèles doivent surmonter de nombreux défis.
Daniel LeBlanc, porte-parole de la campagne de mobilisation J’ai ma place !, nous explique1 : « On passe notre retraite à faire des levées de fonds pour appuyer le projet. Donc il y a quelque chose de pas normal. On aimerait [être] intégré dans l’offre de services du réseau… »
1. Les défis financiers
Alors que les ressources privées reçoivent un soutien financier gouvernemental important pour construire ou adapter des immeubles, les modèles d’habitation innovants reçoivent généralement beaucoup moins, quand ils reçoivent quoi que ce soit. Cela force leurs initiateurs à trouver des solutions créatives pour les financer. Les organisations communautaires et parents additionnent les soupers spaghetti, les soirées de bingo et les évènements bénéfices pour récolter la mise de fonds nécessaire pour faire sortir de terre leur projet d’habitation. Et ce n’est que le début : même une fois les projets lancés, la pérennité des ressources innovantes n’est jamais assurée, faute de stabilité dans le financement accordé par le gouvernement.
2. Les défis organisationnels
La bureaucratie est le second obstacle pour lancer des ressources innovantes. Les familles ou organisations communautaires qui entreprennent ces projets n’ont généralement pas d’expérience préalable en lien avec la création de ressources d’habitation, les systèmes bureaucratiques complexes, les demandes de subventions ou d’autorisations, etc. Naviguer dans ce labyrinthe bureaucratique peut mener jusqu’à l’épuisement
3. La rétention du personnel
En raison de financements limités, les salaires sont souvent modestes, entraînant un roulement important du personnel. Cela engendre des défis additionnels et crée de l’instabilité : des personnes partent et de nouvelles doivent être formées constamment. Cette instabilité est coûteuse, tant en termes de temps que d’argent, et freine le développement et la pérennité de ces modèles. Par ailleurs, dans un tel contexte, les personnes qui demeurent doivent réapprendre à être à l’aise et à faire confiance à une nouvelle personne à chaque fois.
Reconnaître l’urgence et soutenir les alternatives communautaires innovantes
Ultimement, c’est l’ensemble du modèle actuel qui semble dysfonctionnel. Face à cette situation, la Société québécoise de la déficience intellectuelle (SQDI) demande au gouvernement d’agir rapidement en soutenant financièrement les modèles innovants communautaires ; en allégeant la bureaucratie et en favorisant la collaboration entre les différents ordres de gouvernement pour accélérer la sortie de terre de ces modèles d’habitation inclusifs.
Ne pas agir est un choix coûteux, tant financièrement qu’humainement. Il est temps que cette situation change.