« La société est basée sur le paraitre, les personnes ayant une déficience intellectuelle sur l’Être. »
02 Novembre 2020
Lise Beaulieu, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis la mère d’une jeune femme extraordinaire qui se nomme Catherina Lepage. Elle est âgée de 23 ans et fréquente la formation des adultes, programme d’intégration sociale. Elle a fait un parcours scolaire au régulier au primaire. Au secondaire, elle a été durant 4 ans dans des parcours particuliers de rattrapage et de préparation au marché du travail. Ces trois dernières années, elle a terminé sa scolarisation dans des classes d’adaptation. Elle vit avec la trisomie 21 et présente une déficience intellectuelle. À l’annonce du diagnostic, mon conjoint et moi avons été sous le choc. Cependant, rapidement, nous avons accueilli notre enfant et nous avons décidé qu’elle ferait partie intégrante de notre vie et de la société. Depuis sa venue au monde, nous travaillons pour qu’elle puisse occuper la place qui lui appartient dans notre société. Sur un plan plus personnel, depuis 1985 je travaille principalement dans le milieu communautaire. Je suis directrice, intervenante et médiatrice à Équijustice de l’Est depuis 32 ans.
De quand date votre collaboration avec la Société québécoise de la déficience intellectuelle ?
Les valeurs qui m’habitent depuis toujours sont la justice sociale, le respect et le droit à l’égalité. Je suis impliquée depuis de nombreuses années dans des conseils d’administration divers et suis entrée au CA de la Société en 2012. J’ai fait deux mandats jusqu’en 2016 et suis revenue en 2018 et je suis devenue la présidente en septembre 2020. La Société est un organisme reconnu par sa crédibilité, bâtie sur une longue expérience dans la représentation des droits des personnes vivant avec une déficience intellectuelle. Si je crois à l’action individuelle, je suis convaincue que l’action collective a un impact encore plus grand. J’ai toujours en tête cette phrase : « Seul, on va plus vite, ensemble, plus loin ». Je crois en la force du nombre.
Quels sont les grands sujets sur lesquels rester particulièrement vigilant dans les mois et années à venir ?
J’aimerais en choisir certains, mais tous les sujets sont essentiels ! Droits, éducation, emploi, reconnaissance de la capacité et potentiel des personnes vivant avec une déficience intellectuelle… Présentement, ce qui m’interpelle le plus, ce sont toutes les conséquences de la COVID sur ces personnes et le protocole de triage toujours en vigueur, même si de nombreux gains ont été obtenus, grâce au travail de la Société. Mais on ne peut pas s’asseoir sur nos lauriers, la route est tellement longue pour obtenir la reconnaissance et faire tomber les préjugés. Beaucoup de chemin reste encore à parcourir pour leur permettre de vivre pleinement leur vie. Les problèmes de pauvreté, de précarité sont aussi préoccupants. Alors que beaucoup de personnes ayant une déficience intellectuelle travaillent, elles ne sont pas rémunérées alors qu’elles apportent des contributions significatives dans leurs emplois. Généralement, ce sont des gens qui apprécient la vie, qui sont de bonne humeur, qui sont satisfaits rapidement de ce qu’ils ont, sans demander plus. Ils sont à l’opposé de la société de consommation, basée sur le paraitre. Eux se basent sur l’Être. Comme présidente du CA, tous ces dossiers sont importants, car ils concernent toutes les sphères de vie des personnes que nous représentons et leurs familles.
À titre individuel, que vous a apporté le fait de vivre en compagnie des personnes ayant une déficience intellectuelle ?
Avant la naissance de ma fille, j’ai toujours eu une attirance par les personnes qui ont une déficience intellectuelle, et particulièrement celles ayant une trisomie 21. J’étais fascinée par leur regard, leur tendresse, leur amour inconditionnel. Aujourd’hui, c’est ce que je vis avec ma fille. Cette spontanéité, cet amour des autres, vous proposez à n’importe quel citoyen de vivre avec une personne qui pourrait le leur procurer, aucun ne refuserait ! Le langage est souvent négatif concernant ces personnes. Quand je présente ma fille, je ne dis pas en premier que c’est une personne qui a une trisomie 21. C’est d’abord une jeune femme, avec les mêmes besoins que tous les adultes, qui souhaite se réaliser et s’accomplir, aimer et être aimée. On dit souvent que ces personnes sont différentes, mais comme je le rappelle dans mes conférences sur l’inclusion depuis 15 ans, nous avons tous des différences ! Quand tu mets au monde un enfant avec un handicap on ne dit pas « félicitations ! », mais « bonne chance », c’est assez particulier. Pour en revenir à la défense des droits, je n’emploie jamais le terme de « lutte », qui implique qu’il y ait un perdant et un gagnant. Ce que je fais, et que nous faisons à la Société, c’est de revendiquer : nous faisons valoir les droits des personnes que nous représentons. Nous sommes leur porte-parole.